Beauté Fragile - Laura Loriers
Le “self-love” ce n’est pas ce que vous croyez.
Depuis ma présence sur Instagram, je redécouvre les joies du “self love”.
J’ai décidé de creuser ce sujet car je suis en profond désaccord avec ce que j’ai vu et lu.
Avant de rentrer dans le détail, petit retour historique :
l’amour de soi est présent dans la plupart des religions.
Elles le voient souvent comme un péché. L’amour de Dieu reste la priorité.
Suite au recul de la religion, le mouvement a pris de l’ampleur.
Avant de devenir le totem des marques de bien-être, il a été étudié en psychologie.
Erich Fromm l’a défini dans le livre l’Art d’aimer comme quelque chose de nécessaire.
Pour pouvoir vraiment aimer une autre personne, il faut d'abord se connaître et se respecter.
S’aimer soi-même en somme.
Comment être en désaccord ?
Pourtant, j’ai l’impression que cette définition est mal interprétée et limitée.
Pour comprendre mon malaise, j’ai repensé à l’histoire de Jacinthe.
L’histoire de Jacinthe, un cliché romantique
Jacinthe est fille unique.
Elle a été élevée de façon stricte par ses parents dans un village au fin fond de l’Espagne.
Sa mère, extrêmement conservatrice, refusait de la laisser s’exposer au monde. Elle voulait la protéger des autres. Elle entretenait avec sa fille une relation fusionnelle. Elle était sa priorité.
Jacinthe a vécu isolée mais heureuse.
A 18 ans, elle a choisi d’intégrer une des meilleures écoles de médecine du pays.
Pour cela, elle devait quitter le cocon familial et se rendre à Madrid.
Elle culpabilisait de quitter ses parents - sa mère surtout.
Plusieurs fois, elle a failli renoncer à ce rêve mais elle n’a pas pu s’y résoudre.
Elle en a parlé à sa mère. A sa grande surprise, celle-ci l’a soutenue.
Elle était tellement fière de voir sa fille se hisser au rang de médecin.
Elle l’a encouragée. Jacinthe était soulagée. Elle n'avait pas à choisir.
Sa première année de médecine a été difficile, elle a dû s’accrocher.
Les bonnes sœurs qui tenaient l’institution n’étaient pas tendres.
Sa vie était régie de façon militaire et ses sorties encadrées.
Pour fêter leur troisième année, Jacinthe et ses camarades sont autorisées à pique-niquer dans un parc emblématique de Madrid : El Retiro.
Cela faisait 3 ans que Jacinthe vivait à Madrid mais elle ne connaissait rien de la ville.
Ce parc, elle l’avait vu en photo. Elle rêvait de pouvoir s'y balader.
Quand on est prisonnier, la balade quotidienne devient votre raison de vivre.
Le jour de la sortie, Jacinthe a mis sa plus belle robe.
Elle a pris le temps de se coiffer.
En marchant en direction du parc, elle savourait le moment.
Pour la première fois, elle se sentait libre, libre de ses mouvements, libre de ses actions.
Elle n’était plus obligée de suivre un programme militaire, d’étudier ou d’obéir à des ordres despotiques.
Rien ne pourrait venir entacher cette journée.
En arrivant au parc, les filles n’ont pas pu s’empêcher de parcourir les allées.
Le ciel était bleu et les oiseaux chantaient. Tout était si calme.
Une fois lassées d’avoir fait trois fois le tour du parc, elles se posent à l’ombre d’un pommier.
Elles vont pouvoir savourer leur pique-nique.
Pendant qu’elles déballent leurs victuailles, un groupe de garçons s'approche d’elles
La rencontre
Ils leur demandent s’ils peuvent se joindre à elles. Jacinthe ne sait pas quoi répondre.
Elle n’a jamais parlé avec des garçons - mis à part ses cousins qu’elle trouve idiot.
Jacinthe n’a pas le temps d’ouvrir la bouche que Nuria a déjà accepté la suggestion.
Au début, le malaise est palpable. Personne n’ose rien dire.
Heureusement, Roberto est là. Roberto est le plus âgé des garçons.
Il a les cheveux longs, porte une veste en cuir et fume une cigarette.
Il cherche à impressionner le groupe avec ses histoires de business.
Il étudie l’économie à l’Université.
Son but est de transformer l’exploitation de ses parents en usine de fromages.
Il veut exporter le Manchego et faire rayonner la culture espagnole à travers l’Europe.
Jacinthe est mal à l’aise face à ce type qui monopolise la parole et qui la dévisage.
Elle se fiche complètement de ses histoires de fromage, le trouve arrogant et inintéressant.
En plus, il embaume la nourriture avec sa fumée.
Elle essaye de l'ignorer et de savourer sa liberté.
Roberto la regarde et il se tait. Il a sans doute compris qu’il était insupportable.
Il essaye de la faire parler, s’intéresse à son histoire.
Il devient plus intéressant quand il n’essaye pas à tout prix de plaire.
Il lui récite un poème de de Pablo Neruda :
"Il meurt lentement celui qui devient esclave de l'habitude,
refaisant tous les jours les mêmes chemins,
celui qui ne change jamais de repère,
ne se risque jamais à changer la couleur de ses vêtements ou qui ne parle jamais à un inconnu,
celui qui évite la passion,
celui qui ne change pas de cap,
celui qui ne prend pas de risques pour réaliser ses rêves,
celui qui, pas une seule fois dans sa vie, n'a fui les conseils sensés.
Il meurt lentement celui qui ne voyage pas,
celui qui ne lit pas,
celui qui n'écoute pas de musique,
celui qui ne sait pas rire de lui-même.”
Jacinthe commence à rougir, son cœur bat fort et son corps tremble.
Ces émotions lui sont inconnues.
Elle se ressaisit d’un coup, essaye de cacher son trouble. Elle doit retourner au pensionnat.
Elle prévient les autres filles. Roberto lui demande l’adresse. Elle hésite.
D’un côté, elle aimerait lui donner mais de l’autre est-ce vraiment raisonnable ?
Avant même d'ouvrir la bouche, Nuria lui tend un papier avec l’adresse griffonnée.
Ainsi va naître leur histoire.
Ils se reverront plusieurs fois. Ils passeront leur été ensemble.
Leurs sentiments grandissants, Jacinthe va prendre une terrible décision.
L’incident
Quelques mois plus tard, alors qu’elle apprend qu’elle est enceinte, elle décide de se
marier et d'abandonner ses études.
A cette époque, Franco n’est plus au pouvoir.
Toutefois, l’avortement n’a été légalisé qu’en 2010 en Espagne.
Les parents s’opposent violemment à cette décision et à ce mariage.
Ils sont déchirés. En fervents catholiques, ils sont face à leurs contradictions.
Ils finissent par céder. Toute la famille est invitée au mariage.
L’histoire aurait pu s’arrêter sur un “ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants”.
Ce n’est pas ce qui s’est passé.
L’irruption de l’ombre
Roberto a développé son business.
Il est devenu le roi du Manchego.
Ses fromages s'exportent vers toute l’Europe.
Jacinthe aurait voulu reprendre ses études mais il s’y opposait.
Ils n’ont pas besoin d’argent. Mais ce n’est pas le plus grave.
Après son accouchement, Jacinthe a découvert un autre homme : violent, irritable et nerveux.
Les coups pleuvaient à la moindre contrariété.
Elle ne comprenait pas. Au début, elle pensait que cela serait passager.
Son travail était stressant et l’arrivée d’un enfant était un grand chamboulement.
Malheureusement, cela ne s’est pas arrangé. Cela a empiré.
La moindre sortie au supermarché devenait une excuse pour une ruée de coups.
Les bleues marquaient son corps frêle. Elle culpabilisait.
Elle pensait que c’était de sa faute, qu’elle était responsable des emportements de Roberto.
Petit à petit, elle a changé.
Elle couvrait son corps, parlait seulement pour marquer son approbation et lui demandait la permission pour tout.
Tous ses efforts étaient vains. Son mari était malade.
Il n’avait pas besoin de validation mais d’un suivi psychologique.
Jacinthe a supporté cet enfer pendant 4 ans.
Elle pensait être enfermée dans la prison d’Alcatraz.
Bien sûr, elle pouvait reconnaître qu’elle s’était trompée et retourner chez ses parents.
Mais cela lui coûtait.
Nous préférons payer un impôt sur l’ego que de reconnaître que nous avons tort.
En plus, une partie d’elle était encore amoureuse.
Elle n’était pas vraiment amoureuse de Roberto.
Elle était amoureuse de l’image qu’elle se faisait de son couple.
Elle ne voulait pas renoncer à cette image.
D’ailleurs, sans ce coup du sort, je me demande si elle aurait pu y renoncer.
Le coup du sort
Ce coup du sort se déroule un après-midi du mois d’Août.
En Août toute la famille se réunit pour l’Assomption.
C’est une tradition dans les villages espagnols.
Jacinthe, Roberto et leur fils Lucas font le déplacement depuis Madrid.
En début d'après-midi, alors que la chaleur est étouffante, chacun se retire pour la sieste.
Une violente dispute éclate entre Roberto et Jacinthe.
La chambre de son oncle Andres est accolée à la leur.
Les murs en paille ont de piètres performances acoustiques. Il entend tout.
Doit-il intervenir ?
Les cris stridents le forcent à agir.
Il regarde à travers une petite ouverture. Il assiste muet à la scène.
Les coups pleuvent, Jacinthe s’effondre.
Andres intervient, le père de Jacinthe arrive.
Ils chassent Roberto de la maison et lui demandent de ne plus jamais revenir.
Jacinthe avoue ses souffrances à demi-mot mais elle ne le quittera pas.
Il ne pourra plus pénétrer dans la maison mais ils rentreront ensemble.
Elle attendra encore deux ans.
Le déclic est venu quand il s’en est pris à Lucas.
A ce moment-là, elle a engagé la procédure de divorce.
Epilogue
En prenant cette décision, Jacinthe a fait preuve d’amour de soi.
L’amour de soi, ce n’est pas juste faire des choses qui nous font plaisir :
- s’offrir un massage,
- s’acheter un sac à main,
- et afficher son bonheur sur les réseaux sociaux.
L’amour de soi c’est aussi et surtout prendre des décisions qui nous coûtent.
L’amour de soi c’est la somme de nos renoncements.
Le cheesecake est toujours aussi bon.
Simplement je décide de ne pas en manger (aujourd’hui).
Cette définition de l’amour de soi est inaudible mais nécessaire si on veut cultiver son estime de soi sur le long terme.
Qu’en pensez-vous ?
Quelles décisions douloureuses avez-vous prises qui ont eu un impact bénéfique sur votre bien-être ?
🌻 P.S : Moi c’est Ester. J’accompagne des créateurs à prioriser leurs idées et imprimer leur style dans leurs écrits. Tous les détails ici.